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La peur de la nuit, 1887

Archives départementales du Lot. Fonds Mailhol, le célèbre "ostal parlaire" au-dessus de Figeac (maison où l'on entend des voix) : 34 Fi 2/533

" Pour rien au monde, il n'aurait consenti à dire qu'il avait eu peur "

Cheminer seul dans la nuit, c’est être confronté à la peur des mauvaises rencontres, réelles ou imaginaires. Ce récit d’expérience nous est ici conté par l’instituteur d’Anglars-Juillac, dans la belle monographie rédigée par ses soins en 1887, période de floraison de ce type de travaux produits par les enseignants du primaire.

« Avant la construction des chemins vicinaux, nous avions ici des chemins creux comme dans la Vendée. J’ai connu un homme de cette commune, mort depuis quelques temps, qui avait une certaine instruction et qui, cependant, ne passait pas sans crainte, la nuit, dans le chemin creux pour se rendre d’Anglars à Juillac.

Un soir qu’il rentrait chez lui, vers onze heures, en hiver, il pensait sans doute aux apparitions qui pouvaient se produire sur ce point, lorsque arrivé non loin de l’endroit redouté, il aperçut à cent mètres devant lui, tout à fait sur le bord du chemin, une grande forme noire qui paraissait vouloir lui barrer le passage. Il n’était pas armé et d’ailleurs, aurait-il eu des armes, qu’il n’aurait pas osé s’en servir contre un revenant : aussi fit-il prudemment un détour d’un kilomètre pour se rendre chez lui.

Comme il avait couru à travers champs, il avait les habits en désordre mais il ne voulait rien répondre aux questions de ses parents. Disons en passant qu’il était jeune et qu’il venait de voir sa fiancée : pour rien au monde, il n’aurait consenti à dire qu’il avait eu peur. En se déshabillant pour se mettre au lit, il songeait toujours à cette apparition et se disait que, désormais, il serait obligé de faire un long détour pour se rendre à Anglars…

Tout à coup, une idée lumineuse jaillit de son cerveau : le genièvre, dit-il, le genièvre ! Sans avertir ses parents qui étaient déjà couchés, il alla à la grange prendre une serpe et se rendit sur le lieu de l’apparition. Là, il se mit à frapper à coups redoublés sur un beau genièvre qui était l'ornement de ce lieu maudit.

Le lendemain matin, qui était un dimanche, les habitants de Juillac, en se rendant à la messe, se demandaient qui avait commis cet acte de vandalisme : notre homme était bien présent mais il ne raconta rien ; ce n’est que plus tard qu’il a raconté son aventure.

Aujourd’hui, il y a une belle route d’Anglars à Juillac avec des maisons de distance en distance, on ne craint plus d’y passer la nuit comme le jour, bien que certains n’en pensent pas moins ».


Monographie d’Anglars-Juillac par Pierre Vidal, instituteur, avril 1887 : 2 Mi 36

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