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L'action lotoise des Citoyens du Monde

Archives départementales du Lot. André Breton et Max Ernst : 14 Fi 27

73 ans de route mondiale

Si vous êtes un habitué des routes du Lot, vous n’avez pas pu échapper aux bornes de la route mondiale. Ces bornes kilométriques particulières marquent l’engagement des mondialistes lotois.

Le classement du fonds 70 J Mouvement des Citoyens du Monde, Conseil de Mondialisation du Lot est l’occasion de faire un retour sur leur action.

Vous avez dit Citoyens du Monde ?

La citoyenneté mondiale se définit par la volonté d’unir toutes les nations pour former un même peuple mondial, aux droits et aux devoirs égaux. Sous l’effet des deux guerres mondiales et l’incapacité apparente des organisations mondiales de maintenir la paix, cet idéal apparaît comme la solution qui permettrait d’échapper à un nouvel affrontement. Pour les Citoyens du Monde, cette unité mondiale prend la forme d’une Assemblée constituante des Peuples. Les Citoyens du Monde enregistrés (70 J 9 – 70 J 10) seront autant d’électeurs en capacité de voter pour une représentation directe à cette Assemblée constituante mondiale.

« Il est aujourd’hui visible qu’aussi longtemps que cette que [l’unité mondiale] ne sera pas organisée, les hommes iront de misères en oppression, de fascismes en guerres. L’unification est la seule voie » (cf. Citoyens du monde, vers une nouvelle conscience d’Homme, vers une nouvelle conscience politique, Peuples et Paix – Front Humain, Paris, Imprimerie Artisanale, Le Plessis-Robinson [entre 1946 et 1949] (70 J 107).

Robert Soulage, dit « Sarrazac » (1913-2006), ancien colonel de la Résistance, est à l’origine des réflexions sur la citoyenneté mondiale en France. En 1946, il fonde un réseau d’une vingtaine de personnes, le Front humain des Citoyens du Monde, ainsi que le Centre de recherches et d’expression mondialiste (CREM). C’est par le biais de ces deux organisations qu’il diffusera ses réflexions sur la « mondialisation ».

Le mouvement prend une ampleur médiatique le 25 mai 1948. Ce jour-là, Garry Davis (1921 - 2013), pilote bombardier américain pendant la Seconde Guerre mondiale, remet son passeport à l’ambassade américaine de Paris, se déclare « premier citoyen du monde » et s’installe au Palais de Chaillot, territoire « internationalisé » à l’occasion de l’Assemblée générale de l’ONU, dont il demande la protection en tant qu’apatride. Arrêté à plusieurs reprises, il gagne la sympathie d’adhérents à sa cause et un Conseil de Solidarité, « les Amis de Garry Davis », est créé par Sarrazac. L’action de Davis est fortement médiatisée ; aux yeux du public, il devient le porte-parole de la citoyenneté mondiale.

Le 19 novembre 1948, après des semaines de préparation, Sarrazac et Davis interrompent l’Assemblée générale des Nations Unies pour demander la création d’un gouvernement mondial, à même de réduire les barrières économiques et politiques. Si Davis est arrêté avant d’avoir pu intervenir, Sarrazac, lui, a le temps d’adresser son message à l’Assemblée :

« Monsieur le Président, Messieurs, au nom des peuples du monde qui ne sont pas représentés ici, je vous interromps. […]

J’en appelle à vous pour que vous convoquiez immédiatement une Assemblée constituante mondiale qui lèvera le drapeau autour duquel tous les hommes peuvent se rassembler, le drapeau de la souveraineté d’un seul gouvernement pour un seul monde […] »

(Cf. Maurice Henry, « Garry Davis et Robert Sarrazac interrompent la séance de l’ONU », Combat, 20-21 novembre 1948).


Filmé et diffusé par la presse française et étrangère, cet évènement amplifie la notoriété du mouvement, qui gagne bientôt le soutien d’intellectuels de tous horizons : Albert Camus, André Breton, Albert Einstein, Vercors, Raymond Queneau, l’Abbé Pierre, ou encore le violoniste Yehudi Menuhin.

Bientôt, Sarrazac souhaite expérimenter la « mondialisation » des communes, un concept sur lequel il aurait réfléchi dès 1947. Le Lot, qui avait déjà applaudi l’action de Garry Davis, lui souhaitant « le plus vif succès » (796 W 8) en novembre 1948, est alors choisi comme terrain d’expérimentation.

Pourquoi mondialiser le Lot ?

Le choix du Lot comme terrain d’expérimentation pour la mondialisation résulte de l’addition de trois éléments : les élections municipales proches, le climat politique radical-socialiste du Lot et la rencontre fortuite entre Robert Sarrazac et le docteur Louis Sauvé.

Par le concours de connaissances communes, les deux hommes se rencontrent en février 1949 et finalisent à l’occasion la « Charte de mondialisation », « destinée à être proposée à l’agrément de chaque commune de la planète » (Cf. Louis Sauvé, Salvando Salvatus, en sauvant Sauvé, 2008, Éditions de l’officine, 70 J 108). La mondialisation est effective une fois la charte signée par le Conseil municipal et l’obtention de l’accord de la population. Sarrazac prend ensuite l’initiative de créer un « Conseil de mondialisation du Lot », dont Louis Sauvé sera le président. Louis Sauvé (1917-2019) est à l’origine du don du fonds aux Archives départementales. Originaire de la région parisienne, il rejoint le service du docteur Jean Rougier à l’hôpital de Cahors en juin 1948, et crée par la suite le service d’anesthésie-réanimation de l’Hôpital de Cahors, le Centre départemental de Transfusion sanguine et un service de réanimation pédiatrique.

Les coulisses de cette mondialisation

La « mondialisation » du Lot s’opéra en plusieurs étapes, de décembre 1948 à juin 1950. Les Journées des mondialisations et l’inauguration de la route mondiale, en juin 1950, furent le point final de ce que le docteur Sauvé décrivit comme une « aventure ».

Chronologie de la « mondialisation » du Lot 

  • 25 mai 1948 : Garry Davis renonce à sa nationalité américaine et se déclare « premier citoyen du monde ».
  • 19 novembre 1948 : Intervention de Robert Sarrazac et Garry Davis à l’Assemblée de l’ONU.
  • 30 décembre 1948 : Le Conseil municipal de Cahors adresse ses félicitations à Garry Davis.
  • 1949 : Création du Registre international des Citoyens du monde et du Secrétariat français des Citoyens du monde.
  • Février 1949 : Rencontre entre le docteur Louis Sauvé et Robert Sarrazac. Finalisation de la charte de mondialisation.
  • 14 avril 1949 : Signature du pacte des Citoyens du monde (70 J 90).
  • Juillet 1949 : Adoption de la charte de mondialisation par la ville de Cahors. De fait, elle est mondialisée et devient Cahors-Mundi, « Cahors du monde ».
  • Juillet-Août 1949 : Elections-pilotes à Cahors : vote par référendum pour ou contre une Assemblée des peuples.
  • Septembre 1949 : Le Conseil général adopte une motion favorable pour que l’expérience soit étendue au reste du département.
  • Février 1950 : 67 % des villes du Lot sont « mondialisées (70 J 78). Inauguration de la borne 0 de la « route mondiale n°1 » sur le parvis de Notre-Dame de Paris (70 J 38 – 70 J 44).
  • Mai 1950 : Création du Conseil de Mondialisation du Lot, subventionné par le Conseil général (70 J 1 – 70 J 3).
  • 22 au 25 juin 1950 : Journées des mondialisations à Cahors. Inauguration de la première borne de la route mondiale sur le pont Valentré (70 J 15).
  • 25 juin 1950 : Invasion de la Corée du Sud par la Corée du Nord.

La charte rédigée par Robert Sarrazac fût rapidement soumise au Conseil municipal de Cahors, qui l’adopta en juillet 1949. Un vote fut ensuite organisé auprès de la population pour confirmer cette mondialisation. En septembre de la même année, le Conseil général adopte une motion favorable pour que l’expérience soit étendue au reste du département. D’autres communes suivent rapidement : Bretenoux, Gourdon, Laval-de-Cère, Gramat, Puy-l'Évêque… Si bien qu’en février 1950, on annonce que 67 % des villes du Lot sont mondialisées, soit près de 239 communes sur 330 (70 J 78).

Ce succès sera célébré en juin 1950, lors des Journées des mondialisations. L’occasion de rassembler des personnalités notables de l’époque, dont Lord John Boyd Orr, prix Nobel de la paix 1949 et ancien directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture). C’est à cette occasion que la première borne de la route mondiale a été inaugurée sur le pont Valentré. Bien que la borne d’origine ne soit plus à son emplacement initial, vous pouvez admirez la nouvelle borne installée en 2019 aux abords du pont.

Le Conseil de mondialisation du Lot

Parfois désigné comme « mouvement Garry Davis », ou « mouvement des Citoyens du Monde », cette association de loi 1901 déclarée au Journal officiel du 13 mai 1950 a pour but de « préparer les élections démocratiques à une assemblées des peuples à la paix, et à la sécurité mondiale ».

Le siège social désigné est la librairie Francès, au 36 boulevard Gambetta à Cahors. Paul Antoine Francès (1886 - ?), libraire de profession et secrétaire du Conseil de mondialisation du Lot, y tenait la permanence du mouvement. Également secrétaire de coordination de la mondialisation des communes, les chartes de mondialisation provenant des communes (signées ou non), lui étaient adressées (70 J 24). Pour l’arrondissement de Cahors, c’est l’ancien poilu « Glangetas » (peut-être Pierre Glangetas, de la fiche d’enregistrement n°25065, cf. 70 J 9) qui est chargé de collecter les signatures pour la mondialisation de la ville et de distribuer la carte de Citoyen du monde depuis le centre local d’enregistrement (70 J 9 et 70 J 12). Devenir Citoyen du Monde est très simple : il suffit de remplir une fiche d’enregistrement au Registre international des Citoyens du monde auprès du centre d’enregistrement le plus proche. Cette inscription à la citoyenneté mondiale n’engage à rien, pas même à militer ; il s’agit d’un engagement individuel pour un gouvernement mondial.

Parmi les fiches d’enregistrement conservées par le Conseil de Mondialisation du Lot (70 J 9), on retrouve celles d’élus locaux siégeant au Conseil général en 1950 : Marc Baudru, maire de Gourdon ; Maurice Eyrolles, inspecteur principal de l’Enregistrement à Cahors ; Gaston Astorg, instituteur en retraite à Mechmont ; Louis Garrigou, avocat et maire de Saint-Martin-de-Vers… Preuve que cette action avait conquis les élus autant que les administrés.

Un mouvement éphémère, mais très médiatisé

Bien que le mouvement soit relativement éphémère, l’annonce de la guerre de Corée éclipsant les Journées des mondialisations dans la presse, il n’en resta pas moins très médiatisé à son paroxysme, comme en témoignent les coupures de presses collectées par le Conseil de mondialisation du Lot (70 J 76 à 79). Par ailleurs, de nombreux mémoires, pamphlets, et écrits militants de prise de position sur les événements mondiaux ont été produits entre 1947 et 1951, en plus des rassemblements organisés par Robert Sarrazac et ses pairs pour promouvoir le « mondialisme ». Ce militantisme intellectuel a fait la notoriété du mouvement, et nous permet aujourd’hui de retracer son histoire.

Le mouvement existe encore aujourd’hui, et vous pouvez tout à fait vous enregistrer au registre international et faire la demande d’une carte de Citoyen du monde. Le Conseil de Mondialisation n’a pas été officiellement dissous ; le flambeau a été repris à Cahors par l’association Cahors Mundi, déclarée au Journal officiel en 2015, qui a annoncé sa restructuration et son redémarrage au début de l’année 2023. La citoyenneté mondiale a encore de beaux jours devant elle !

Vous pouvez dès à présent consulter l’instrument de recherche du fonds 70 J et le fonds lui-même en salle.

AD du Lot. Pourquoi citoyens du monde ? vers 1950 : 70 J 70 AD. La sphère symbole des Citoyens du monde sur le parvis de la mairie de Cahors. Fonds du Conseil de mondialisation du Lot : 70 J 46 AD du Lot. Fiches d'enregistrement des Citoyens du monde : 70 J 9 AD du Lot. La route mondiale n° 1. Ebauche d'article sur les journées de juin 1950 : 70 J 15

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