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Les évasions de prison aux XIXe et XXe siècles

Archives départementales du Lot. Extrait du Petit journal illustré de 1928 : 1 Y 60

Deux exemples cadurciens parmi un corpus de vingt-deux évasions (1811-1933)

Ce trésor d’archives s’intéresse non à ceux qui peuplent les prisons, mais à ceux qui tentent d’en sortir : les évadés.

La sous-série 1 Y (archives relatives aux établissements pénitentiaires, fonds de la préfecture) contient un corpus de dix-sept évasions et de cinq tentatives d’évasion d’adultes (1 Y 60) et d’adolescents (1 Y 84) des prisons de Cahors, Figeac et Gourdon, entre 1811 et 1933. Des traits communs se dégagent de ce corpus : les évasions sont facilitées par l’état de délabrement des prisons et le manque de personnel ; les gardiens, souvent seuls pour surveiller une dizaine de détenus, commettent des négligences, quand ils ne sont pas complices.

Les prisonniers s’échappent par des portes ou des fenêtres laissées ouvertes, glissent un traversin coiffé d’un bonnet de nuit sous la couverture de leur lit pour faire croire qu’ils dorment, creusent des trous dans les parois et les planchers usés, lancent des draps noués par-delà les murs... Aidés tantôt par une amante qui leur apporte des outils lors d’une visite, par des co-détenus complices ou des gardiens trop dupes – voire trop effrayés (à raison : en 1912, un projet d’évasion avorté impliquait le meurtre du gardien de la prison de Gourdon et de sa famille) –, il arrive également que les détenus parviennent à s’échapper seuls. Ils retrouvent ainsi la saveur de la liberté.

Une saveur éphémère cependant : les escapades sont souvent brèves. Voilà les évadés bientôt retrouvés par les gendarmes et ramenés en prison, où ils doivent subir une peine alourdie ainsi que des mesures disciplinaires. Les conséquences sont également lourdes pour les gardiens qui, s’ils ne sont pas enfermés au cachot au pain sec, encourent mutations ou retraites non désirées, suspensions, rétrogradations et révocations.

Deux jeunes voleurs rusés

Né à Saint-Cirq-Lapopie, Emile, jeune agriculteur aux cheveux blonds et aux yeux « or vert » – si l’on en croit les registres d’écrou des maisons de justice et d’arrêt de Cahors – est apprenti maçon. A plusieurs reprises, il dort et mange chez des hôteliers et des aubergistes avant de partir sans payer. Il emprunte même un vélo à un carrossier qui ne le reverra jamais (voir son audience publique dans les procédures du greffe correctionnel du tribunal de première instance de Cahors : 3 U 1/1810). Finalement prévenu de filouterie d’aliments, escroquerie et abus de confiance à l’âge de dix-huit ans, il doit être transféré à la colonie pénitentiaire d’Aniane (Hérault), mais il est détenu provisoirement à la maison d’arrêt de Cahors en 1911 pour témoigner dans une affaire criminelle.
C’est là qu’il rencontre Albert. Né à Puycalvel, ce domestique de seize ans aux yeux bleus et aux cheveux châtains – toujours selon les registres d’écrou – est poursuivi pour vol de volaille, maïs, farine et vêtements : il entre par effraction dans les maisons qui lui sont familières et repart avec son butin (voir les procédures du greffe correctionnel du tribunal de première instance de Cahors : 3 U 1/1811).

Durant l’hiver, Emile est atteint d’une pleurésie. En raison du manque de personnel, c’est Albert qui lui tient lieu d’infirmier. Longtemps oisifs dans l’infirmerie, ils ont le temps d’observer les allées et venues des gardiens depuis la fenêtre et s’aperçoivent rapidement que la porte menant du jardin à la cour de la prison des femmes reste toujours ouverte. Par négligence ou compassion du gardien Ladagnous (Emile ayant affirmé devoir se lever – malgré les contre-indications du médecin – pour soulager sa poitrine oppressée), ils conservent leurs vêtements la nuit et disposent même de leurs souliers, ayant prétendu vouloir les nettoyer.

Dans la nuit du 9 au 10 mars 1911, vers minuit, ils descellent deux barreaux de leur couchette et les utilisent pour percer le mur. Ils font passer leurs draps noués par l’ouverture ainsi faite et se laissent glisser le long du mur de sept mètres, avant d’atterrir dans le jardin donnant accès à la cour emmurée de la prison des femmes. Ils trouvent là tout ce dont ils ont besoin pour s’évader : une barrière en bois dressée contre le mur tient lieu d’échelle, tandis que le fil de fer servant à faire sécher le linge permet d’ancrer le drap dans la pierre. Ils n’ont plus qu’à l’agripper et à descendre du côté de la rue.

Ils se rendent à Vers pour faire une escale chez le beau-frère d’Albert, alors absent (il est lui-même en prison pour vol). Y parvenant durant la nuit du 10 au 11 mars, ils dérobent une lanterne de chemin de fer pour éclairer la maison. Ils abandonnent leurs vêtements de prisonniers pour en choisir de nouveaux. Après s’être munis d’un marteau, d’une serpette et avoir empoché une bague et une montre appartenant au fameux beau-frère, ils pénètrent par effraction chez un mécanicien et volent deux bicyclettes.

Les deux jeunes hommes sont toutefois rattrapés au bout de deux jours et sont condamnés par le tribunal correctionnel de Cahors à six mois de prison supplémentaires. Si Albert n’est pas « relevé d’appel », Emile de son côté fait appel à la cour d’appel d’Agen qui le condamne à trois mois d’emprisonnement pour évasion mais se déclare incompétente en ce qui concerne les vols. Emile est renvoyé devant la cour d’assises du Lot qui le condamne à un an de prison le 23 septembre 1911 (voir les procédures criminelles de la cour d’assises du département du Lot : 2 U 363).

Dans son rapport sur la double-évasion, le gardien-chef, Gaurel, assure : « le gardien [Ladagnous] couchait chez lui. L’infirmerie donnant sur le derrière de la détention (quartier des femmes), il m’a été impossible d’entendre le bruit qui a pu se produire, ma chambre à coucher se trouvant du côté opposé (quartier des hommes) ». Selon Malecaze, le directeur de la circonscription pénitentiaire, « l’évasion n’aurait pu avoir lieu si le gardien-chef avait plus sérieusement assuré son service en plaçant auprès du malade tout autre infirmier [qu’Albert] ; s’il s’était conformé aux ordres donnés en retirant les habits ; si la porte séparant son jardin de la cour où est installé le séchoir avait été fermée à clef ». Gaurel est suspendu durant cinq jours, tandis que Ladagnous est privé de « 2 jours de grande sortie ».

Un notaire sans pudeur

Né à Castelfranc en 1885, marié et père de deux enfants, le notaire Jean P. est nommé à l’office de Catus en 1913. Elu conseiller d’arrondissement en 1922, il commence à détourner l’argent de ses clients pour son profit personnel dès juillet 1923. En tout, il lèse trente-trois personnes. Il détourne notamment le montant du prix d’un immeuble (14 800 francs) acquis par M. Chaigneau (voir les procédures criminelles de la cour d’assises du département du Lot : 2 U 375). La réclamation de ce dernier, en mars 1927, déclenche la vérification de l’étude notariale. Alors que l’enquête révèle de plus en plus de malversations, le notaire s’enfuit mais est arrêté alors qu’il tente de franchir la frontière espagnole, en novembre 1927.

Il est alors écroué à Perpignan, puis à la maison d’arrêt de Cahors. Jugé le 3 février 1928, il est destitué. Quelques jours après, ses crises d’urémie poussent le gardien-chef à ordonner son hospitalisation. Dans la nuit du 17 ou 18 février, vers une heure du matin, le veilleur de nuit trouve le notaire en caleçon, ses souliers aux pieds, prétextant l’insomnie « ayant, dit-il, sommeillé tout le jour ». Vingt minutes plus tard, le lit est vide : Jean P. a escaladé la fenêtre des toilettes donnant sur le jardin bordant la rue Wilson et s’est évadé, « vêtu simplement de ses caleçons et chaussé de souliers ». Son évasion burlesque a un certain retentissement dans la presse locale :

 Le notaire P. s’est évadé

« Ainsi que nous l’avons relaté, le notaire P., de Catus, avait été arrêté et écroué à la prison de Cahors, pour abus de confiance. Il devait comparaître devant la Cour d’assises du Lot à la session de mars. Mais ces jours derniers, reconnu malade, il fut transféré de la prison à l’hôpital de Cahors, où il fut placé dans la salle commune. Par précaution, tous ses vêtements, la nuit, étaient enlevés et mis hors de sa portée. Samedi matin, au réveil, on constata la disparition du notaire P. Toutes recherches faites dans l’hôpital restèrent infructueuses. Le Parquet fut avisé. Des renseignements recueillis, il résulte que P. se serait levé, dans la nuit, vers 2 heures. Pour tout vêtement, il avait son caleçon. Où est passé le notaire P. ? Il est probable que son évasion était préparée. On a trouvé une lettre qu’il adressait à un de ses amis de St-Sébastien, dans laquelle il lui annonçait son arrivée… prochaine dans cette ville. Dans la journée de vendredi, P. avait reçu la visite de sa femme. Le Parquet a lancé dans toutes les directions et aux postes frontières d’Espagne, par téléphone, un mandat d’arrêt » (Extrait du numéro du 19 février 1928 du Journal du Lot : 1 PER 14/29).

Même si son signalement est donné au commissaire de police et à la gendarmerie de Cahors qui le recherchent activement, l’homme en cavale parvient à gagner l’Espagne. Selon le surveillant-chef de la prison de Cahors, « il n’est pas douteux qu’il y ait eu complicité de quelque personne du dehors, qui lui aura fourni les effets nécessaires pour se vêtir et peut-être une auto pour lui permettre de gagner rapidement la frontière espagnole ». Au bout de quelques jours, le notaire revient s’installer à Perpignan où il se place sous un faux nom comme ouvrier électricien. Il est arrêté à nouveau deux mois après, en avril 1928. Il est alors réintégré à la prison de Perpignan puis à celle de Cahors, le 27 avril 1928. En juin, il est condamné par la Cour d’assises du Lot à dix-huit mois de prison pour abus de confiance, faux et usage de faux.

Pour aller plus loin

Pour les deux jeunes voleurs

  • Voir les dossiers individuels des gardiens sanctionnés, Henri GAUREL et Vincent LADAGNOUS : 1 Y 35
  • Voir le dossier individuel d'Emile Fau : 1 Y 81
  • Voir les registres d’écrou de la sous-série 2 Y (en cours de classement : cotes provisoires)
  1. Registre d’écrou de la maison de correction de Cahors, n° 229, 1901-1927 : 5 AM 5
  2. Registre d’écrou de la maison d’arrêt de Cahors, n° 315 et n° 323, 1907-1921 : 5 AM 8
  3. Registre d’écrou de la maison de justice de Cahors, n° 87, 1901-1955 : 5 AM 3
  • Voir les procédures correctionnelles « Filouterie, Lauzès, 1910 » : 3 U 1/1810 et « Vol de volailles, d'un sac de maïs, d'un sac de farine, de vêtements et d'objets divers par un mineur (de 16 ans), Vers, Lauzès, 1911 » : 3 U 1/1811
  • Voir la procédure criminelle « Vols qualifiés - évasion, Vers, Cahors, 1911 » : 2 U 363 ; l'arrêt de la cour d'assises du Lot du 23 septembre 1911 : 2 U 291.

Pour le notaire

  • Voir les registres d’écrou de la sous-série 2 Y (en cours de classement : cotes provisoires)
  1. Registre d’écrou de la maison de justice de Cahors, n° 223, 1901-1955 : 5 AM 3
  2. Registre d’écrou de la maison d’arrêt de Cahors, n° 147, 1921-1929 : 5 AM 9
  • Voir les dossiers de carrière des notaires, canton de Catus : 3 U 1/24
  • Voir la procédure criminelle « Abus de confiance qualifiés, faux et usage de faux, Catus, 1928 » : 2 U 375 ; l'arrêt de la cour d'assises du Lot du 27 juin 1928 : 2 U 292
  • Voir le numéro du 19 février 1928 du Journal du Lot : 1 PER 14/29.

Quelques pistes bibliographiques

  • FARCY Jean-Claude, Guide des archives judiciaires et pénitentiaires (1800-1958), Paris, CNRS Editions, 1992, 1190 p.
  • FAUGERON Claude, PETIT Jacques-Guy, PIERRE Michel, Histoire des prisons en France (1789-2000), Paris, Privat, « Hommes et communautés », 2002, 256 p.
  • PERROT Michelle [dir], L'impossible prison. Recherches sur le système pénitentiaire au XIXe siècle, Paris, Seuil, « L’univers historique », 1980, 319 p.
  • PETIT Jacques [dir.], La prison, le bagne et l’histoire, Paris, Librairie des Méridiens, « Déviance et société », 1984, 240 p.






Archives départementales du Lot. Rapport du gardien chef : 1 Y 84 Archives départementales du Lot. Acte d’accusation de la cour d’appel d’Agen : 2 U 363 Archives départementales du Lot. Notice d’écrou d’Emile Fau et ses yeux « or vert » : 2 Y non classé (5 AM 3) Archives départementales du Lot. Télégramme du commissaire de police : 1 Y 60

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