Accueil > Découvrir : Offre culturelle > Trésors d'archives > 9 décembre : journée de la laïcité
Le 9 décembre, date anniversaire de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, est le jour choisi pour célébrer la laïcité. Il s’agit de promouvoir et de faire vivre ce principe juridico-politique, venant compléter le triptyque « liberté, égalité, fraternité », et qui est souvent présenté comme la quatrième valeur républicaine.
Pourtant, la laïcité est moins une valeur qu’un principe organisant les relations entre le politique et le religieux ; elle garantit la liberté de conscience et implique la neutralité de l’Etat. La loi a été conçue comme un instrument de paix civile, une façon de garantir que la religion ne soit plus un facteur de division dans la société française.
Mais que la route fut longue et sinueuse pour parvenir à ce consensus !
En 498, le baptême de Clovis fait du christianisme la religion officielle de la Gaule et avec le règne des Carolingiens débute la monarchie de droit divin : le pouvoir et l’Eglise sont fortement liés.
L’apparition du protestantisme au début du XVIe vient bouleverser cette organisation et déclenche les guerres de religions. Le royaume se divise entre catholiques et protestants. Pour mettre un terme à ces affrontements, Henri IV promulgue un édit de tolérance : l’édit de Nantes (1598) qui reconnaît pour la première fois la possibilité d’un pluralisme religieux au sein du royaume de France. De fait, cet édit devient l’un des premiers jalons dans le processus de laïcisation de la France. Mais en 1685, un premier retour en arrière a lieu : Louis XIV interdit à nouveau le protestantisme dans l’édit de Fontainebleau.
Au XVIIIe siècle, les philosophes des Lumières vont faire germer les idées de liberté de conscience qui vont apparaître dans la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen (1789) : « nul homme ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses ».
En abolissant la monarchie de droit divin et en garantissant la liberté de culte, la Révolution française marque la première véritable étape de laïcisation de la France.
Une nouvelle étape est franchie par Napoléon Bonaparte par la signature en 1801 du Concordat avec le pape. Le catholicisme romain est désormais reconnu comme « la religion de la majorité des citoyens français ». Mais il n’est plus la religion officielle puisque faisant partie, à partir de 1808, des quatre cultes reconnus par le fameux concordat conclu par Pie VII avec Bonaparte en juillet 1801. Subissant les aléas de la vie politique, le processus est de nouveau freiné lors de la Restauration (1814-1830). Les Bourbons, de retour au pouvoir, rétablissent le catholicisme comme religion d’Etat.
Le Second Empire (1852-1870) est une période d’entente cordiale entre le gouvernement et l’église catholique. Au niveau scolaire, la religion catholique demeure prépondérante comme le prouve la lecture du « Règlement pour les Ecoles primaires publiques de l’Académie départementale du Lot », en date du 16 juillet 1852 (doc.1). On y découvre notamment, dans les articles 20 à 26, qu’un Christ doit être placé dans la classe et que des prières quotidiennes doivent rythmer la journée des élèves.
Avec l’installation des républicains au pouvoir et la mise en place de la Troisième République, un dernier cap est atteint en visant prioritairement la laïcisation de l’école. Au cours de la décennie 1880, avec les lois de Jules Ferry, l’école devient gratuite, obligatoire et laïque. Le Journal du Lot du 1er avril 1882 transcrit dans ses colonnes les 13 articles du texte de loi sur l’enseignement primaire obligatoire votée par le sénat et la chambre des députés, promulgué le 29 mars 1882 au Journal officiel.
Au début du XXe siècle, les querelles s’aggravent entre partisans de l’Eglise catholique et de son influence sur la société d’une part, et ceux qui prônent l’indépendance de l’Etat vis-à-vis du religieux d’autre part. La fin du Concordat devient peu à peu inévitable et c’est logiquement qu’on aboutit, le 9 décembre 1905, à la signature de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat. Il s’agit d’un texte d’apaisement et d’équilibre permettant à la fois de séparer strictement l’Etat des religions, sans que cela soit pour autant un texte de lutte contre les religions.
Cette loi marque ainsi l’aboutissement d’un long processus de prise de distance des institutions publiques vis-à-vis des institutions religieuses.
Dans la perspective de la disparition des établissements publics du culte et de l’affectation des édifices destinés à l’exercice du culte à des associations cultuelles, il devient indispensable d’établir un inventaire des biens qui vont être gérés par ces établissements. Le 29 décembre 1905, un décret est pris en ce sens : le gouvernement impose un inventaire descriptif et estimatif de tout ce qui est contenu dans les édifices religieux. L’application de ce texte entraine de nombreux troubles publics et manifestations, car les catholiques assimilent ces actes à de la profanation et à de la spoliation.
La presse catholique et conservatrice se mobilise et profite de sa large diffusion pour exhorter ses fidèles : « Le Quercinois. Organe de défense nationale et libérale » n’hésite pas à comparer les agents chargés de l’inventaire à de « nouveaux judas » dans ses pages du 13 janvier 1906 (doc. 2).
Dans le diocèse de Cahors, les inventaires commencent le 22 janvier 1906 et la plupart se déroulent sans perturbation majeure. Toutefois, quelques incidents se produisent dans le nord-est du département, surtout dans le doyenné de Lacapelle-Marival : Leyme, Rueyres, Molières, Thémines, Saint-Maurice et Aynac.
A Aynac, la résistance s’organise autour du maire, le comte Bertrand de Toulouse-Lautrec, cousin du célèbre peintre. Marié à la propriétaire du château d’Aynac, Louise de Turenne, il a été élu maire de la commune en 1904. Connu pour son conservatisme, son attitude véhémente et agressive empêche le percepteur de domaines de procéder à l’inventaire (doc. 3 et 4).
Cet acte de refus obligera le président de la République, A. Fallières, sur proposition du ministre de l’intérieur, G. Clémenceau, à le révoquer de ses fonctions municipales, par décret du 5 avril 1906 (doc. 5).
Une fois la révocation prononcée, l’inventaire des biens de la fabrique d’Aynac peut enfin se dérouler, mais sous conditions, comme le prouve le compte-rendu du 8 avril 1906 du sous-inspecteur de l’Enregistrement, des Domaines et du timbre (voir la cote 8 V 23) :
Au lieu de garantir la paix civile, comme ses rédacteurs l’escomptaient, la mise en place de cette loi de séparation a entrainé une forte division dans la société, exacerbée par cette querelle des inventaires.
Cela nous prouve que ce texte, aussi important qu’il soit, n’est qu’une étape supplémentaire et non la conclusion de ce long processus de laïcisation de la France qui va se poursuivre tout au long du XXe siècle et qui se poursuit encore aujourd’hui.