Se garantir de longs et beaux jours au XVIIIe siècle

L'élixir de longue vie ou baume de vie

Huyt ou neuf gouttes à prendre matin et soir dans le double de vin rouge, bouillon ou thé ...
Voici la célèbre recette de l’élixir ou sirop de longue vie, encore parfois appelé baume de vie. La composition du breuvage est ici la plus commune. Il existe en effet de nombreuses recettes manuscrites de ce type dans les fonds d’archives. Elle est aussi célèbre que le fameux « vinaigre des quatre voleurs » censé préserver de la peste !
Elle serait due à un illustre docteur suédois, au nom hypothétique, car tout le temps changeant, dont on ne sait à peu près rien…

Formule à appliquer pour la fabrication de l’éléxir  de longue vie. Sa composition

1. Prenes une once et un gros* d’aloès soccotrin 
2. Un gros d’agaric blanc
3. Un gros de zédoaire
4. Un gros de gentiane
5. Un gros de saffran du Levant
6. Un gros de rhubarbe fine
7. Un gros de thériaque de Venize

Mettés le tout ensemble en poudre, passés au tamis les six premières drogues, mettes les ensuitte dans une bouteille de gros verre et la thériaque la dernière, jettés dessus une bonne peinte de parfaite eau de vie, bouché bien cette bouteille d’un bouchon de liège, mettes la à l’ombre et pendant neuf jours, matin et soir, ayés soin de bien remuer les drogues. Le dixième jour, sans remuer la bouteille, coulés doucement l’infusion dans une autre tant qu’elle sera claire, et bouchés bien avec du linge cette colature, puis mettés sur vos drogues une seconde peinte d’eau de vie que vous y laisserés encore neuf jours, bouché de simple parchemin piqué et remués deux fois le jour comme cy-dessus. Le dixième jour, coulés doucement votre éléxir sans brouiller les drogues, ainsi qu’il est déjà dit, quand elles commenceront sur la fin à se brouiller, mettes du coton dans un antonoir sans ly fouler et versés tout le reste de la liqueur avec le marc pour la filtrer dans une troisième bouteille, la filtrant deux fois si elle est trouble, mettant un linge sur l’antonoir pour que l’éléxir ne sevente point ; puis mettes touttes les infusions ensemble très bien bouchées. Votre éléxir sera fait et vous pourrés en user du premier jour.

* Eléxir : vieille prononciation pour élixir.
Gros : ancienne mesure de poids, égale à la huitième partie de l'once.
Aloès de Socotra (Aloe succotrina).
Agaric blanc : un champignon (Polyporus officilanis).
Zédoaire ou zédoire : plante herbacée appartenant aux zingibéracées, de la même famille que le gingembre.
Thériaque : préparation connue depuis l'Antiquité, contenant plus de cinquante composants appartenant aux trois règnes de la nature (parmi lesquels une dose assez forte d'opium) et ayant des vertus toniques et efficaces contre les venins, les poisons et certaines douleurs cf. Tlfi.

Manière d’en user

Pour les maux de cœur, vous en prendrés une plaine cuillière de bouche toute pure. 
Pour les indigestions, deux cuillièrées dans quatre d’éther ; pour l’hivresse, vous en prendres deux cuillièrées toutes pures.
Pour la rage de goutte dans l’accès, surtout quand elle remonte, trois cuillièrées tout pur.
Pour la colique d’entrailles, et colique venteuse, deux cuillièrées dans quatre d’eau de vie.
Pour les vers pendant huit jours, une cuillière à caffé dans trois de vin blanc.
Pour suppression , trois jours consécutifs, une cuillière dans trois de vin rouge, et se promener une demie heure de suitte avant de dejeuner.
Pour la fièvre intermittente, une cuillerée et demye tout pur avant le frisson, s’il ne guérit pas au
2e accès, il guérit immancablement au troisième.
Pour se purger en forme, trois cuillièrées pour les robustes, deux pour les femmes tout pur, et quatre heures après une légère soupe. On dort tranquillement la nuit, il n’opère que le lendemain sans doulleur  ni autres précautions que de ne rien manger de cru, ni salade, ny laitage, et ne pas trop prendre l’air.
Pour l’usage qu’on en peut faire journellement, la quantité pour les dames est de sept gouttes, pour les hommes, neuf ; cette quantité prise avec exactitude procure de longs jours et agréables par la gaietté quelle occasionne, en dissipant toutes les humeurs. Pour les vieillards, la doze est d’une cuillièrée tout les huit jours dans du bouillon de mouton à jeun.

* Suppression : suspension, arrêt d'un processus physiologique d'excrétion ou de sécrétion.

Observations sur d’autres avantages que l’ont peut tirer du marc qui reste

après que l’on a tiré l’elexir au clair, à scavoir :

En mettant une peinte de très bon vin blanc sur le marc qui a resté dans la bouteille, et ly laisser infuser l’espace d’un mois, et remuant la bouteille une fois par jour.  Cette liqueur est propre pour les tranchées des chevaux, vaches, anes, mulets,  leur en faisant avaler une coquille à la fois ; on peut aussi soulager les pauvres gens et les tirer de la lengeur en leur en donnant un verre qui les purgera aussi bien pour ainsi dire que la quantité susdite de l’elexir, après quoy on jettera les drogues comme n’étant plus propres à rien.
Le prix de ces drogues est d’environ trois livres. Dans l’usage de ce remède on na besoin, ni de seignée, ni d’autres médicaments. Il ramolit le timpan aux sourds, en distilant dans l’oreille et la bouchant de coton ; il apaise pour quelque tems la douleur des dents, en y mettant qui en soit inbibé ; il est un contre-poison parfait et un préservatif contre les maladies contagieuses ; il fait admirablement bien sortir le venin de la petite verolle sans aucun risque.
Observés cependant quil y auroit du risque à vouloir en prendre plus que la recette ne lexplique mais qu’au contraire en en prenant journellement la doze de huyt ou neuf gouttes matin et soir dans le double de vin rouge, bouillons ou thé, on pourra se promettre des jours d’une aussi longue durée que ceux du celebre docteur Gorex suédois dorigine et de son illustre famille a qui nous sommes redevables du susdit elexir.

Archives privées. Collection Gransault-Lacoste et Ferdinand de Laroussilhe : 5 J 182

* Tranchée : Colique des animaux
Le célèbre docteur en question ne porte jamais le même nom … Vornets, Xermet cf. Thierry Lefebre, « A la recherche de l’élixir de longue vie », Revue d’histoire de la pharmacie n° 337, 2003, p. 137-138.

Une recette similaire

confirme que cet élixir, non seulement fait vivre « long tems, sain, gay et alerte », mais soigne à peu près tout …

« Avec l’usage journalier de cet elexir, on vit long tems sans avoir besoin de seignées, ny de médicaments. Il restaure les forces, remet les esprits viteaux, éguise les sens, ote les tremblements des nerfs, diminue les douleurs du rumatisme, apaise les douleurs atroces de goutte et l’empêche de remonter, netoye l’esthomac de toutes les humeurs crasses et gluantes qui causent les indigestions, les aigreurs, les migrènes et les vapeurs, il tue les vers, guérit toutes les douleurs d’esthomac et d’entrailles au bout de quelques minutes, rend gay, soulage les hidropiques, guérit l’indigestion en une heure de tems, ote les maux du cœur, amolit les « temples » des sourds en en distilant dans l’oreille bouchée de cotton imbibé, purifie le sang et le fait circuler, c’est un contre poison parfait, il provoque les mois aux femmes, restitue les couleurs et l’embonpoint, purge insensiblement et sans douleur, guérit les fièvres intermitantes à la troisième doze. Bref, c’est un préservatif contre les maladies contagieuses, il fait pousser la petite verole sans risque, il a d’admirable qu’on peut en prendre impunément une doze trop forte et qu’il est utile à tous ».
Bref, « il fait vivre long tems, sain, gay et alerte ».

Archives privées. Pièces isolées, J 46 : Recettes et remèdes des XVIIIe-XIXe siècles