L'art de faire parler les corps, novembre 1740

L'autopsie du comte de Durfort Boissières

L’autopsie se déroule à Cahors, sur l’ordre du comte son fils, en présence de Maitre Jean Mortolat, docteur en médecine. Elle est menée par Jean Louis Denis, maître chirurgien,  et Jean Baptiste Denis fils, lieutenant du 1er chirurgien du roi, selon les règles du moment. Il s’agit de lever un doute, suspecte-t-on un empoisonnement ? Il n’en est rien. L’opération ne révèle aucun indice criminel ou laissant supposer un suicide. La mort résulte d’une obstruction du duodénum, syndrome contre lequel on ne peut alors grand-chose…
Le terme « miserere » désigne souvent les douleurs atroces provoquées par une occlusion intestinale. Miserere mei, Deus : « aie pitié de moi, mon Dieu » ! Pour le combattre, nous avons pu lire (liasse J 46) qu’il est conseillé de « souffler dans le fondement avec un soufflet ». Un vent rabelaisien qui n’arrangeait guère les choses, sans doute…

Nous, Jean Louis Denis, maitre chirurgien et Jean Baptiste Denis fils, lieutenant de M. le premier chirurgien du roi, habitans de la presente ville, certifions que mercredi neuvième novembre mil sept cent quarante, nous nous sommes transportés sur les six heures du soir dans la maison de monsieur le comte de Boissières par ordre de monsieur le comte de Durfor son fils, pour procéder a louverture du cadavre de monsieur son père et après l’avoir soigneusement visitté, et examiné en presence de monsieur maitre Jean Mostola, docteur en medecine, nous naurions aperçu aucune marque ou vestige de maladie exterieure, ni aucune partie de son corps qui ne fut saine, et dans son integrité, et nous aurions seulement trouvé un flocon [sic] dhémoroydes au nombre de trois, indisposition asses commune aux hommes et aux fammes, avec une excavation a la partie moïene de l’os sacrum, maladie ordinaire qui arrive a ceux qui sont detenus un long temps dans le lit. Et etant parvenus dans son interieur, et ayant procedé selon toutes les règles de l’art, nous aurions trouvé en second lieu le cœur flétri et totalement afaissé sans une goute d’eau dans sa poche ou pericarde [péricarde], ni aucune atteinte dans son interieur, dexcroissance ou de polipes [polype]; en troisième lieu, ladherance des deux lobes des poumons a la plèvre, mais plus du coté droit que du gauche sans aucune ulcération, le droit etant seulement un peu plus desseché que le gauche. En quatrième lieu, lestomac vidé et fort petit, et a son orifice droit ou inferieur, vers le pilore [pylore], un ulcère calleux et schirreux [= cireux], résistant aux coups du scalpel, de la grosseur du poing et de la longueur dun boudin, faisant son progrès dans le duodenum [duodénum] et remplissant presque en partie de cette cavité, ce que nous avons jugé etre la principale cause de sa mort, en ce que apres la dissolution des alimens dans lestomac, ils nont pû etre portés en suffisante quantité aux intestins par le pilore qui etoit obstrué et endurci comme une corne bouillie, et trouvant un obstacle, ils etoient par consequence obligés de refluer et de reprendre les mêmes voies par ou ils etoient entrés, dou procedoit le vomissement qui l’a conduit dans une atrophie ou dessechement general de toutes les parties de son corps. En cinquième lieu, une obstruction de la grosseur d’un œuf de pigeon au centre du grand lobe du foie sans aucune apparence exterieure, plus une autre obstruction superficiele et aparente de la circonference dune piece de douze sols au petit lobe de la grosseur dune noisete qui auroit commencé depuis peu a supurer. Enfin les glandes du mesentère [mésentère] et du pancreas [pancréas] netoient qu’un progrès d’obstructions ; nous certifions et declarons la presente relation contenir verité, a Caors, ce dixième novembre mil sept cent quarante.

Archives privées. Collection Gransault-Lacoste et de Laroussilhe : 5 J 21.