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Découvrir : Offre culturelle

26-27 janvier 1790. Deux journées de Révolution à Bégoux

Archives départementales du Lot : J 3162

" Journal historique portatif des choses pleus remarquables " de Michel Célarié

Michel Célarié (né le 7 février 1754) – bien qu’appartenant à un milieu rural et à une famille relativement modeste de laboureurs – n’en a pas moins poursuivi des études, probablement au collège royal de Cahors qui possédait à Bégoux un domaine et assurait de ce fait l’instruction de quelques enfants de la localité. Il y apprend la lecture, l’écriture, le latin et la maîtrise du français, sa langue maternelle étant la langue d’Oc. C’est de là sans doute que vient son goût de l’écriture qui nous a valu son précieux journal et quantité de livres de comptes, aujourd’hui dispersés.
Le journal de Michel Célarié, commencé à la fin de l’Ancien Régime (trois mois après son mariage le 15 janvier 1782*), se poursuit sous la Révolution, l’Empire et la Restauration pour s’achever en 1836 sous la monarchie de Juillet. Il se compose de deux volumes : le premier conservé dans le fonds privé Gransault-Lacoste (5 J 96), le second que les Archives viennent d’acquérir, dans les pièces isolées d’origine privée (J 3169).
Par son contenu documentaire remarquable et parce qu’il mêle étroitement histoire générale et histoire locale, le plus grand intérêt du « Journal historique et portatif des choses plus remarquables depuis l’an 1771 » est de nous faire vivre la vie quotidienne à Bégoux. Il nous permet de saisir toute la dimension humaine et sociale d’une époque charnière, tout particulièrement de percevoir l’atmosphère d’une communauté rurale aux portes de Cahors au fil de ses réactions face aux événements révolutionnaires, ses joies, ses déceptions, ses tensions internes.
Michel Célarié meurt le 16 septembre 1842 à l’âge de 88 ans, ayant réalisé l’ambition de sa jeunesse : être « propriétaire », c’est-à-dire un « bourgeois ».

* Le journal n’est pas écrit au jour le jour. Des événements y sont rapportés à partir de 1771, mais l’écriture débute bien en 1782

Révolution générale le 26 janvier 
Souper aux dépens de celui qui ne s’est pas joint à la troupe révolutionnaire…

L’an 1790,  le 26 du mois de janvier, nous habitants de Bégous, Peyrat et Cavaniès avons fait une révolution contre Me Calméjanne, seigneur de Cavaniès, ou pour mieux dire possesseur de quelque quarte de bled de rente que les susdits lui payoit.  Nous nous sommes assemblés au nombre de cent personnes ou environt, armés de toute sorte d’armes offensives et defencives, comme fusils, épées, couteaus de chasse, aches, pioches, pelles et fourches de fer, gros bâtons pointus ou ferrés, et marchant sur deux rangs jusques à nous introduire dans le château dudit Calméjanne au lieu de Cavaniès*. Tout de suite la demoiselle, femme dudit, avec sa famille, nous ont salués et reçus avec beaucoup de courtoisie. D’abord ils nous donnoirent du pain et du vin à discrétion et, apprès avoir mangé et boüeu, on leur a demandé la vérification du titre primordial, sous promesse de le ramplir si on ne le ramplit pas par ce qui et porté par la dernière reconnoissance, et nous demendons en même temps ce qu’il peut avoir reçu de plus qu’il n’ets porté par ledit titre primordial, et de plus, on lui a demandé le quarton, les boisseau et autres instruments destinées à la levée et mesures desdites rantes. Ils nous les ont données, remis entre les mains et on les écrasa tout de suite et on les jeta au feu. On demanda ausy les chirouettes d’au bout des tours dudit château, lesquels ils nous ont remis de suite. On les a promenés dans les places et rues dudit Cavaniès, mais avec grand soin de les conserver, et le soir on les a remises entre les mains desdit sieur Calméjanne. Cette boufonerie feut encore suivie d’un délit commis, sçavoir sur des arbres considérables que ledit Calméajnne avoit fait planter sous sa fenêtre, terre qu’on dit être comune ou vagues, et en même temps on feut arracher une jeune vigne que ledit Calméjanne avoit plantée dans le heaus de Cavaniès, au tènement des Ramondies ; lesquelles souches furent portées à Cavaniès et incontinent brullées sur la place dudit lieu.
Pandent qu’une partie des gens s’occuppoit à couper lesdits arbres et ladite vigne, les autres ont etté dans l’île dudit couper trois arbres des plus beaux qu’ils on peu trouver pour faire des mâts* qu’on a plantés tout de suite, sçavoir un dans la cour dudit Calméjanne, l’autre feut planté sur la place publique dudit Cavaniès avec la diférence que l‘on a coupé la tête à celui qui feut planté dan la cour dudit sieur et que l’on a laissé celui qui ettoit planté dans la place dudit Cavaniès dans toute sa beauté et qu’on y a mis au bout le crible et une partie du quarton et boisseaus espressément réservées du feut pour cervir à cets effet*. Le troisième de ces arbres feut porté à Bégous et en même tempts planté audit Bégous sur le couder ou communal public et c’étoit le plus beau puisqu’il e(s)t au de plus de soixante pieds.
Après avoir planté ce mats, nous avons de conser arrachées sept lignes de souches que Me Troupel* avoit plantées dans ledit couder il y a environt dix ans ; lesquelles souches ettoit au nombre de trois cens et quatre cerisiers coupés ausy, et le tout vandu et livré par ladite troupe à Antoine Carrié, de Bégous, comme ettant le dernier enchériseur et le seul qui a offert la somme de quatorse livres.
Enfin, ayant passé la journée de la manière qu’on vien de le dire, nous avons résolu de faire que tous fussent partissipent de la perte que ce désordre et révolution ont fait au reste des vasseaus et seigneurs. C’e(s)t pourquoy qu’on a imposé une ammende à touts les absens, conformément aux enmendes des absens du jour de la larme (sic) générale du 31 juillet dernier. Jaque Rigal*, laboureur de Bégous, ayant manqué à ce joindre à la troupe de la dite révolution, nous avons au nombre de soixante homme soupé à discrétion à ces dépens ».

* Me Calméjanne, notaire de Cahors et seigneur de Cavaniès, semble avoir suscité de nombreux conflits et procès avec les habitants de Bégoux et de Cavaniès. De fait les habitants de Bégoux et Cavaniès inaugurent leur « Révolution » par l’attaque du château de Cavaniès.
* Les mâts dont il est ici question sont des « mais » dont la longue tradition remonte au Moyen Age. Les mais sont traditionnellement plantés pour honorer une personne ou pour célébrer une événement heureux survenu dans la communauté. Spontanés, ils seront très présents durant la période révolutionnaire, au côté des arbres de la liberté.
* Le mai, d’honorifique, devient ici séditieux, accrochant les emblèmes du pouvoir de l’aristocratie sur la paysannerie en son sommet. Nombre de ces mâts ont été érigés dans le Lot.
* Me Antoine de Troupel, avocat en parlement, conseiller du roi, juge de la baronnie de Luzech, habitait à Cahors, paroisse Saint-Urcisse. Il possédait un domaine à Bégoux qu’il tenait de sa femme, Françoise Reverdy : demeure, dépendances et chai à côté de l’église de Bégoux, vignoble à proximité. 
* Jacques Rigal était brouillé avec les habitants de Bégoux contre lesquels il avait intenté un procès.

Seconde révolution contre Me Lapeyrière, faite le 27 janvier 1790
Tremblez aristocrates ! La charrue est plus forte que l’épée !

Nous, habitants de Bégoux, Peyrat, Cavaniès, du Bousquet et Ramonets, fimes à l’exxembple du reste du Quercy une autre journée de révolution contre Me Mrs Lapeyrière et d’Issala*. Mais nous nous sommes mieux conpportés que la vielle parce Mrs Mailles, avocat, Courtois, bourgeois du Peyrat et Lugan, curé de Bégoux, sont venus à la tette, où ils ont parlé audit Me Lapeyrière avec respect et honeur, et de conser avec le reste des vasseaux on lui a demandé la production du titre primoridal et qu’on veut le payer sur ce y cera porté, ce qu’il nous promis faire, comme ausy de nous randre ce qui cera reconnu être pris de trop, et de sa propre volonté, il nous a fait présent d’un louis d’or pour aller boire à sa santé.
Partant de chés ledit Lampeyrière, nous fûmes randre visite audit Me d’Issala, auquel nous avons porté le même compliment, et nous a répondu ainsy que l’autre, et nous a fait la même largesse et avec la même libéralité. […]
Enfin, c’e(s)t une merveille de voir dans la cour de toute sorte de gens qui jouissoint quelque rante des mâts plantés par leurs vasseaux et toutes les chirouetes dessandues et les cribbles d’erain enlevés, les mesures brullées publiquement. L’on voit ausy sur les places publiques des mâts plantés avec ces épitaphes : « Tramblés aristocrates, soyés fidelles à la Nation, à la Loy et au Roy » [en rouge dans le texte] Il y avoit ausy auxdits mâts des monuments qui pandoit, notament une reille [charrue] sur une épée cassée par le milieu et près de l’épittaphe : « Tramblés aristocrates » et un homme de distinction a demandé ce que sinifie cette reille neufve sur cette épée vieille. On luy a répondu que le seigneur ayant cherché dispute à son vassal, les laboureurs s’asamblèrent et le veinquirent parce que la reille c’e(s)t trouvée plus forte que l’épée, et cet homme de qualité feut esmeut de terreur par cette explication.
Les quercynois n’ont pas etté les invanteurs de ces révolutions, ni les premiers qui ont imité l’example desdits invanteurs, mais cette révolution et par un comandement immaginaire. La ville de Paris donna l’example au reste du royaume et sa a couru de vilage en vilage, de paroisse en paroisse, de ville en ville, tout comme fait le feut qui alume de branche en branche, de façon que le bruit couroït que quiconque ne fera pas les honneurs à son seigneur, on viendra le faire pour luy et à ces dépens. On ne demandoit point de l’argent, mais on va en troupe chés les abscens à la révolution boire et manger à discrétion.
Lorsque cella eut passé chés nous et courant du cotté du midy, le bruit et le désordre devient plus grand car on a pillé les meubles et effaits qu’ils on trouvé dants les châteaux. On a brullé les meubles de bois, les archives ; on a détruit les cabinets, les touts ; apprès avoir boüeu le vin avec eccès, ils ont répandu l’autre par terre, jusques à profaner les chapelles et les vases sacrés, et se son partagés les abis sacerdotaux. On a de plus encore détruit plusieurs châteaux. Voyci quelques uns qui ont grandement soufer par la susdite révolution. 1er le château de Cieurac, celuy de Paullias et la chapelle profanée, celuy de Beaufort détruit, celuy de Moyssac et Valance brullés et plusieurs autres don le dénombrement seroit ennuyeus*.

* Bourgeois de Cahors possessionnés au Payrat et à Bégoux
* Les décrets des 4-11 août 1789 qui abolissaient les droits féodaux, c’est-à-dire les droits honorifiques, avaient maintenu les « droits réels » et les avaient déclarés rachetables. En attendant le rachat, ils devaient être payés comme précédemment. C’est cette ambigüité des décrets qui est à l’origine des émeutes paysannes et de l’attaque des châteaux de l’année 1789. L’originalité du Quercy réside dans la poursuite de ces troubles et de pillages de châteaux tout au long de l’année 1790.

 






 

Journal de M. Célarié, 2e volume. Archives départementales du Lot : J 3162 Journal de M. Célarié, 2e volume. Archives départementales du Lot : J 3162 Journal de M. Célarié, 2e volume. Archives départementales du Lot : J 3162 Journal de M. Célarié, 2e volume. Archives départementales du Lot : J 3162

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