Accueil > Découvrir : Offre culturelle > Nuits de la lecture 2025 > Avril 1818. Paris – Bordeaux – Agen : les impressions de voyage d'A. Caudron
Dame Agnès Thérèze Guilaine Caudron (vers 1740-1851) relate ce qu’elle a vu de « plus remarquable » lors de son déplacement de Versailles à Bordeaux, puis le retour de Bordeaux en son château de Lastours (Sainte-Croix, aujourd’hui Montcuq-en-Quercy-Blanc). Ses impressions s’arrêtent à Agen, le reste du trajet – un peu moins de 60 kilomètres – ne lui semble sans doute pas digne d’être rapporté. L’objet du voyage vers la capitale, pas plus que la description du parcours suivi à l’aller, ne sont consignés dans cet écrit du for privé (mémoires, livres de comptes ou livres de raison, journal). On aurait aussi aimé savoir dans quel type de voiture le voyage se déroule et à quel rythme se font les changements de chevaux dans les relais…
C’est dans la collection constituée par Henri Guilhamon (28 J 5, feuillets 281 et suivants) que l’on trouve le seul livre de raison de la main d’une femme conservé aux Archives départementales du Lot. Il court de 1797 à 1845. La plus grande partie est consacrée aux comptes des domaines possédés par Agnès Caudron (Saint-Jean et Pechméja dans le secteur de Montcuq). La belle plume de l’autrice y consigne aussi des pages poignantes relatives aux décès de ses proches. Pour l’heure, découvrons ses impressions de voyage.
En avril 1818, M. de Lastours, mon frère*, et moi sommes partis de Paris pour Bordeaux le 20 et nous y arrivâmes le 25 à dix heures du matin qui étoit un samedi. Le lundi nous étions partis dans l’après-midi. Voici la route que nous suivîmes et la note de ce que j’ai vu de plus remarquable. Versailles, Saint-Cir [Saint-Cyr] qu’on laisse sur la droite, le soir nous passâmes à Rambouillet. Ce qui fait que je n’ai rien vu, mais il m’a paru que le parc doit être très grand d’après le tems qu’il a fallu pour le longer ou le tourner [contourner]. Il étoit dix heures du soir lorsque nous passâmes à Maintenon, je n’ai apperçu que le toit de l’église.
Lorsqu’il sonna trois heures [du matin], nous étions sur la place de Chartres, elle m’a semblé passablement grande ; comme il faisait clair de lune, je regardais le clocher et cela a duré plus d’une demi heure. Dans la matinée [du 21], passé à Bonneval, peu après on laisse sur la gauche un château, des bois appartenant aux enfants du maréchal Ney*. A dix heures du matin, nous étions à Châteaudun. […]
Henri Marie de Puniet (1767-1826), l’aîné des enfants nés du second mariage de sa mère Charlotte Marchand
Le maréchal Michel Ney a été arrêté dans le château de Bessonies dans le Lot par le préfet du Cantal le 5 août 1815
[Le 23 avril] Poitiers est grand, mal bâti, des routes étroites, il y en a de droites comme des échelles. On peut dire que c’est une grande et triste ville qui a l’air bien pauvre. La cathédrale n’a rien de remarquable, elle est dans le bas de la ville et pour y aller, je passai dans une petite rue, si droite et si mal pavée, que je me crus dans le plus pauvre village de France. La sortie de Poitiers est moins triste que l’arrivée du côté de Paris. Vivonne est à six lieues de Poitiers, comme il pleuvoit beaucoup, il est difficile de bien juger le paysage. Entre Vivonne et Coué [Couhé], il y a des bruyères. Manne [Mansle], petit endroit où il y a un ruisseau. Avant Manne, on trouve Ruffec, on y arriva vers sept heures du soir, on en repartit le lendemain à quatre heures. Manne petit endroit où il y a un ruisseau au pied du coteau où est le bourg ou village, on arriva à Angoulême à onse heures. Les approches de cette ville presantent un joli paysage. De Poitiers à Angoulême, le terrain paroit léger, cependant généralement cultivé ; il y a des bois, mais on est étonné de ne pas voir plus d’habitations.
Angoulême située sur une élévation est peu considérable, mais les fauxbourgs le sont plus que la ville ; ils sont sur les coteaux qui l’entourent, elle domine sur une pleine fort étendue arrosée par la Charente et dont le point de vue est très joli. La cathédrale est peu de chose et a un grand air de misère. Il [y] a une jolie colone à mi coteau élevée en 1815 en l’honneur de madame la Feuillet 285 duchesse d’Angoulême. Demi lieu environ après avoir quitté Angoulême, le terrain et les coteaux deviennent tristes. Il y a les ruines d’un ancien couvent qui devoit être considérable. Pétignac, petit endroit où il n’y a de remarquable qu’une charmante maison blanche à contrevans vers. Elle est un peu plus grande que celle que vouloit Rousseau, étant flanquée de deux tours à girouettes. Elle appartient au maître de poste. Barbesieux [Barbezieux-Saint-Hilaire] où on arriva à six heures du soir, on y mangea et on repartit de suite. Il y a deux vieilles tours rondes qui servent de prison. On passa les landes pendant la nuit, le chemin est mauvais et il pleuvoit. Vers les huit heures du matin, on arriva à Saint-André de Cusac [Saint-André-de-Cubzac], il faloit qu’il fut foire ou marché. La place étoit déjà couverte de monde. On descend et on va à Cusac. Entre les deux Cusac et sur le coteau du dernier, qui domine la Dordogne, il y a les ruines d’un grand château qu’on appelle « Montauban »* et qu’on dit avoir appartenu au père des quatre fils Aimon*. On passe la Dordogne a Cusac, il a fallu huit minutes pour la traverser. Le vent étoit bon. De la Dordogne à la Garonne, il y a trois lieues, c’est espace est comme un jardin embelli de jolies habitations ; il y a des bois, des prairies, principalement des vignes et tout ce qui peut former un charmant paysage sous un beau ciel et secondé de tout ce que l’art peut ajouter à la nature. Arrivés au Temple, sur le bord de la Garonne, on quitte la voiture et on s’embarque. Il a fallu vingt minutes pour traverser la rivière et aborder au quai de Bordeaux. Pour moi, je le trouvois couvert de batimens, quoiqu’on se plaigne qu’il n’y a point d’activité dans le commerce et il y en avoit tout le long de ce qu’on nomme « le Charteron », c’est ainsi qu’on appelle le quai qui se prolonge au dela de l’endroit où étoit situé le château Trompette qui est à peu près démoli et une partie plantée d’arbres pour une promenade. Tout le long du Charteron, il y a de très beaux batimens. […] Ainsi nous arrivames à Bordeaux le 25 au matin, y restames le 26 et nous repartimes dans l’après-midi du 27 [avril].
* Château qui aurait appartenu au duc Aymon [ou Aimon] de Dordone
* Allard, Renaut [ou Renaud], Guichard et Richard. Des quatre fils Aymon, le plus célèbre est Renaut dit de Montauban
En allant de Bordeaux à Agen, la campagne est superbe, surtout deux lieues environ en sortant de Bordeaux. Castres [Castres-Gironde] à quatre lieues de Bordeaux, avant d’y arriver on traverse des bruyères, on va ensuite à Courtes ?, puis à Barsac connu par ses vins. Toutes ces petites villes n’ont rien de remarquable et sont assez mal bâties, mais la campagne est belle, de même que beaucoup d’habitations et de châteaux. On passe la Garonne en quittant Langon, on a mis onze minutes pour le passer. On va à St-Macaire, où on voit les ruines d’un château, il reste quelques tours et des traces de fossés. St-Pierre d’Auriac, Caudrot, Giron [Gironde-sur-Dropt], La Réole, avant d’y arriver on parcourt un magnifique pays ; la ville est passablement grande, mais il faut toujours monter ou dessendre ; la Garonne serpente de plusieurs côtés, il y a des restes d’un ancien château, il reste quelques tours. Mongon ?, Lamothe [Lamothe-Landerron], Marmande, assez mal bâtie. On dit qu’il y a six mille habitans. Thoneins [Tonneins], connu par son tabac, c’est la plus forte et la plus jolie ville que j’ai vu depuis Bordeaux, elle domine la Garonne.
On passe le Lot avant d’arriver à Aiguillon, on a mis neuf minutes d’un bord à l’autre. C’est là qu’il se jette dans la Garonne. Le château d’Aiguillon est dans le plus grand dépérissement. Il y a un beau point de vue, cependant je ne l’ai pas trouvé si beau que je l’avois oui dire ensuite.
Sur les bords de la Garonne, Agen, dont la promenade appelée Gravier est ce qu’il y a à citer.
[La description du voyage prend malheureusement ici, avec un simple rappel des dates du périple].
Nous arrivâmes à Lastours le 30 au soir.